Journal évolutionnaire du 6/9/24 - Des grecs et des dieux
J'avance en trappeur sur la piste des grands mythes, entre Homère, Hésiode, Ovide, Appolonios de Rhodes... Bien sûr avec les lumières d'un certain nombre d'éclaireurs contemporains... Tout au long de ces lectures, je réalise deux choses : premièrement que les mythes grecs nous parlent pour aujourd'hui et demain, deuxièmement ils illustrent à quel point l'Occident, via la Grèce, s'est ouvert une brèche civilisationnelle radicalement singulière. Les mondes hellénistiques se sont éloignés progressivement des univers holistes, monolithiques, théocratiques, saturés de sacré de l'Egypte, de la Perse et de l'Inde.
Certains, pressés de porter des anathèmes, diront que "cette brèche" est à la source de notre rupture à un rapport harmonieux au monde. L'histoire n'est pas terminée, et je suis plutôt de ceux qui considèrent que l'Occident n'est pas un accident de l'histoire. Mais qu'il est bien - à travers toutes ses errances, ses fragilités et ses incertitudes - le creuset créatif, le foyer évolutionnaire de possibles à venir. Ces possibles sont en émergence un peu partout, pour peu que nous soyons assez réceptifs pour les percevoir et surtout, nous y relier par le discernement, l'empathie et l'action.
Il y a sourdement, dans le creuset de l'histoire grecque antique une tension progressive d'émancipation du poids de la fatalité et des dieux. Des héros et des êtres humains osent transgresser les frontières et les limites jusqu'à risquer de perturber l'ordre cosmique. Contrairement aux grands mythes indiens, ce ne sont pas les démons déviants avides de pouvoir qui perturbent l'ordre cosmique. Ce sont des rebelles audacieux, des personnages habités par la curiosité, qui ne peuvent se résoudre à subir passivement les lois d'un ordre cosmique écrasant. Ils questionnent et ne supportent plus le déterminisme socio-cosmique qui n'offre aux humains d'autre issue que de subir le joug impitoyable quand ce n'est pas la fantaisie cruelle des dieux.
Ces tentatives d'affranchissement restent certes exceptionnelles. Les sociétés les contiennent et les condamnent souvent, comme ce fut le cas pour Socrate. Il n'empêche que les grands récits et les tragédies, en racontant les errances, les malédictions, les audaces de certains personnages, même quand ils les jugent comme condamnables, même quand ils les citent en contre-exemples, laissent deviner, en creux, une secrète admiration.
On pressent que s'annoncent déjà les figures bibliques. Notamment Abraham qui, après une quête réflexive inédite (selon le midrash juif), s'affranchira de la tutelle des dieux de sa société pour suivre l'appel improbable d'un Dieu invisible. S'annoncent aussi les destins de Joseph et de Moïse et de ces esclaves hébreux qui vont tenter l'inouïe, oser l'impensable : s'arracher à l'autorité du Pharaon et du panthéon des dieux égyptiens. Une tentative qui d'abord semble laisser incrédule et perplexe le Pharaon biblique. La fureur qui s'ensuivra, heureusement pour les fugitifs, se fracassera face "au miracle" de la mer rouge.
Ceci dit, il semble que certains sont toujours habités par la nostalgie des âges mythiques. L'harmonie cosmique dont étaient garants les dieux, et qui s'imposait aux humains par des hiérarchies, des lois, des prescriptions et des rites paraît encore fasciner. Je pense à l'Egypte en particulier. Lors de mon long séjour en Egypte en 1982, dans les traces de Paul Brunton et de René Guénon, je me suis retrouvé, ébloui, subjugué, au grand musée du Caire, aux pieds des pyramides où dans la vallée des rois de Louxor. J'avais comme lecture les ouvrages de Isha Schwaller de Lubicz, qui racontent, à travers l'initiation spirituelle d'un jeune homme, une Egypte rêvée, idéalisée, dans la lignée des rosicruciens contemporains. Une Egypte imaginale qui nous en dit plus, en fait, sur nos rêves et nos aspirations que sur la réalité complexe d'une histoire et de peuples soumis aux lois des pharaons, des dieux et du Nil.
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